Ancêtre de Chantal Rœlly.
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La Picardie protestante

Il est très difficile de donner une image globale et en même temps précise du protestantisme picard ancien pour plusieurs raisons. Tout d'abord parce que la notion même de Picardie est floue. Par exemple, avant la Révolution la Picardie ancienne comprenait le Boulonnais, aujourd'hui dans le Pas-de-Calais, alors que Beauvais, Soissons et Laon faisaient partie de l'Île-de-France et que le sud de l'Aisne dépendait du gouvernement de Champagne. Il faut donc définir de quoi l'on parle et nous adopterons pour simplifier les limites de l'actuelle région de Picardie.

Il y a ensuite les difficultés liées à la fiabilité des renseignements disponibles. Dans leur désir de plaire au roi les intendants de l'ancien régime ont souvent minimisé dans leurs rapports l'importance du protestantisme, au point de faire croire à Louis XIV qu'il était quasiment éradiqué, ce qui a justifié l'abrogation de l'édit de Nantes.

Par ailleurs les ouvrages des premiers protestants qui se sont intéressés, après la Révolution, à faire revivre le passé ne sont pas totalement fiables. Leurs auteurs bénéficiaient à la fois d'un avantage et d'un handicap. D'une part ils avaient à leur disposition les souvenirs des personnes âgées ayant vécu en ces temps difficiles et des documents précieux conservés dans les familles, mais d'autre part ils étaient sans doute trop proches de l'événement pour avoir la sérénité nécessaire à une bonne objectivité.

Il est donc utile de se référer à des sources variées, françaises et étrangères, religieuses, juridiques, notariales et parfois familiales. La confrontation et l'assemblage des renseignements recueillis donne une vision du protestantisme picard sensiblement différente de celle qui est habituellement véhiculée.

 

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La géographie est un moyen de compréhension du protestantisme picard. La Picardie est globalement un plateau traversé par quelques fleuves et rivières de taille moyenne dont les cours principaux, Somme, Oise, Aisne, ont donné leur nom à nos trois départements actuels. Ces cours d'eau dessinent des voies de pénétration à travers le plateau autant qu'ils représentent des obstacles (modestes) sur la voie des invasions. Les facilités de communication expliquent la rapidité de la diffusion de la Réforme sur ces terres traversées par des ouvriers agricoles locaux allant participer aux moissons en Brie, berceau de la Réforme en France, et par des marchands descendants des pays du Nord propageant les idées de Luther.

Faute de montagnes offrant un refuge comparable aux Cévennes, les huguenots picards n'ont pas pu opposer de résistance armée aux régiments du roi, ils ont de ce fait laissé moins de trace dans les mémoires. Ils étaient pourtant nombreux mais, face aux tracas divers puis aux persécutions qui ont suivi l'assassinat du roi Henri IV, ils n'ont eu que trois choix : se convertir, émigrer ou rester et "faire semblant", car la répression a aussi sévi en Picardie. Par exemple, Pierre Barthe, de Landouzy, arrêté lors d'une assemblée en 1688 a été envoyé aux galères ; lors d'une dragonnade Pierre de Visme[1], de Gouy-l'Hôpital, a été "chauffé" dans sa cheminée vers 1700 ; Catherine Leloir[2], femme du chef des huguenots de Templeux-le-Guérard, a été tuée d'un coup de fusil en 1717 après que sa maison a été pillée ; etc.

La solution la plus facile était le retour au sein de l'&ecute;glise catholique et c'est ce qu'a fait une grande partie des familles nobles picardes gagnées antérieurement à la Réforme. Certaines sont néanmoins restées fermes jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes (1685), voire après la révocation, comme les de Visme dont le nom est bien connu dans le Nord.

L'émigration vers des pays non catholiques était le choix le plus radical entraînant la rupture définitive des liens avec la famille restant en France. Sur le plan patrimonial les conséquences qui en découlaient n'étaient pas négligeables puisque les biens des émigrés étaient saisis. Ce choix, malgré ses difficultés et les risques encourus en cas de capture (galère pour les hommes, prison à vie pour les femmes, enfermement des enfants dans des institutions catholiques), facilité par la proximité de la frontière, fut celui de bon nombre de petites gens, paysans, artisans, hommes de robe et marchands. Ils ont rejoint sur les terres de Refuge les émigrés Picards qui avaient fui avant la fin du XVIe siècle à cause des guerres de religion. Ces derniers ont facilité leur accueil, leur installation, leur intégration.

La dernière possibilité consistait à rester et à faire le gros dos en attendant la fin de l'orage, c'est-à-dire à donner plus ou moins satisfaction extérieurement aux exigences des autorités catholiques tout en continuant à pratiquer en famille et en petits groupes la foi réformée. On trouve ainsi bon nombre d'adultes qui abjurent juste après la Révocation mais qui refusent les sacrements du curé sur leur lit de mort. Ce sont leurs enfants et petits-enfants qui se marient quelques années plus tard "illégalement", c'est-à-dire devant un pasteur interdit. Cette solution fut adoptée par beaucoup et maintenue avec plus ou moins de bonheur d'une génération à l'autre, permettant au protestantisme de rester présent en Picardie et de se ranimer après l'édit de Tolérance (1787).

Dans la Picardie, très boisée au XVIIe siècle et pourvue en zones marécageuses, les protestants se sont parfois installés dans les zones insalubres dans lesquelles ils étaient plus ou moins à l'abri des incursions de la maréchaussée, comme au hameau de Vaux, dans la paroisse d'Essômes (02), ou au hameau des Ageux, dans la paroisse de Brenouille (60). Ils ont aussi profité des régions boisées en Thiérache (Landouzy, Lemé), en Vermandois (Hargicourt, Jeancourt) et ailleurs, pour tenir des assemblées clandestines qui permettaient de maintenir la foi des communautés.

Des liens avec le reste de la communauté réformée étaient nécessaires. Ils étaient assurés par quelques pasteurs clandestins qui parcouraient la région au risque de leur vie. Lors de leur passage, ils baptisaient, instruisaient, donnaient la communion et mariaient autant que de besoin. Pour suppléer à la rareté des pasteurs les Picards ont usé d'expédients. Comme les ambassades étrangères des pays protestants jouissaient de l'exterritorialité, elles pouvaient, malgré l'interdiction générale des pasteurs dans le royaume, avoir leur chapelain. Nombre de protestants picards sont allés à Paris communier dans l'une ou l'autre ambassade, mais essentiellement celle de Hollande. Par ailleurs beaucoup de jeunes ménages sont allés, à partir de 1709, faire bénir leur union par un pasteur au-delà des frontières, en particulier dans les villes de garnison tenues par des troupes hollandaises dans les Bas-Bas espagnols. L'existence de ces garnisons protestantes dans une région où sévissait l'Inquisition, mériterait à elle seule un long développement.

Il faut signaler enfin l'existence, qui peut paraître surprenante, d'un pasteur à Abbeville pendant cette période de persécutions. Pour disposer de voiles de qualité pour les bateaux de la marine royale, Colbert avait obtenu du roi qu'il fit venir à Abbeville en 1665 un manufacturier hollandais du nom de Van Robais. Celui-ci a été invité à amener ses métiers, ses ouvriers et a été autorisé exceptionnellement, pour le service de ce petit monde protestant, à avoir son chapelain. Bien sûr ce petit îlot réformé avait interdiction de faire des adeptes, mais des coreligionnaires ont pu bénéficier des services discrets de ce pasteur. On ne parlait pas encore de délocalisation, de transfert de technologie ni de tolérance mais en y réfléchissant il y avait là, inconsciemment, un peu de tout cela

 

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L'édit de Nantes a octroyé aux protestants deux lieux de cultes, deux temples, par bailliage, toutefois il en a limité le nombre à deux pour l'ensemble du gouvernement de Picardie. Outre ces lieux publics l'édit a permis aux seigneurs protestants, ayant le droit de haute justice, de faire dans le château de leur résidence principale l'exercice de leur religion pour eux et ceux qu'ils y accueilleraient. C'est ainsi que madame de Herly, madame de Barizy, le comte de Roucy, le vicomte de Nogentel, le marquis de Feuquières, le sieur de Poireauville, le sieur de Bernapré, le marquis d'Heucourt et Havernas, le marquis de Ruvigny, le sieur de Rambures, le sieur de Broussy et de très nombreux autres ont établi un maillage de lieux de culte à travers cette province. Malheureusement ce maillage a évolué en fonction des interdictions de justice (d'injustice !) frappant soit le pasteur, soit le château, soit le châtelain, en fonction aussi des abjurations de certains de ces nobles, jusqu'à l'interdiction définitive du culte réformé lors de la Révocation.

Pour connaître la répartition géographique des foyers de protestantisme après la Révocation de l'édit de Nantes il faut se référer à plusieurs documents. Une des sources les plus précieuses est constituée par les registres tenus par les pasteurs des &ecute;glises de la Barrière. Les registres tenus par les chapelains des ambassades de Hollande et de Suède sont aussi très instructifs. On peut encore exploiter les archives des pays du Refuge, Angleterre, Irlande, Hollande, Hesse, Brandebourg, Suisse, etc., quand elles donnent l'origine des émigrants. On peut également avoir des informations intéressantes en France dans les archives de la Justice, en particulier par la trace des saisies effectuées sur les biens des religionnaires ayant quitté le royaume malgré les interdictions. Bref, il existe des documents, mais il faut du temps et de la patience pour les lire et en extraire ce qui concerne la Picardie.

Aucun relevé exhaustif n'a encore été fait à notre connaissance, car il s'agit d'un œuvre colossale, mais l'ensemble des données exploitées permet d'avoir une assez bonne idée et de dresser une carte assez fiable des implantations protestantes importantes qui existaient pendant le siècle qui sépare la Révocation de l'édit de Nantes et l'édit de Tolérance (carte jointe). Sur cette carte on voit que le protestantisme en Picardie n'est pas le privilège d'un département plus que d'un autre. Les trois départements picards sont concernés mais il faut toutefois noter que l'importance des communautés n'est pas homogène.

En Thiérache, à l'Est, Parfondeval, Landouzy et Lemé ont été des communautés très vivantes jusqu'à un passé récent. À Lemé, par exemple, un relevé sur une période d'une quarantaine d'années montre que 25% des enfants baptisés par le curé au milieu du XVIIIe siècle étaient issus de familles huguenotes. Il existe de même en Vermandois une grosse communauté à Jeancourt, Hargicourt et Templeux-le-Guérard ou en Basse-Champagne avec Essômes et Nogentel. Plus à l'Ouest, les communautés des Ageux et Brenouille, de Crèvecœur-le-Grand et Beaudéduit dans l'Oise, d'Heucourt, Vraignes-les-Hornoy et Gouy-l'Hôpital dans la Somme ont aussi été dynamiques, mais il ne faudrait pas oublier qu'il y avait en outre une multitude de foyers disséminés sur l'ensemble du territoire.

 

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La vie aux XVIIe et XVIIIe siècle n'était facile pour personne dans les campagnes françaises, maladies et famines y faisaient leurs ravages. Cette vie était compliquée dans les provinces frontalières comme la Picardie par les guerres endémiques avec l'étranger. Pour les protestants elle était assaisonnée des implications de leur rébellion contre la religion officielle.

Les curés étaient chargés par le pouvoir civil de baptiser d'office les enfants de huguenots et d'en faire de ce fait des petits catholiques. Certains les enregistraient comme enfants "illégitimes", donnant le nom de la mère et pas celui du père ; d'autres tout en enregistrant cette "illégitimité" donnaient les noms des père et mère ; d'autres encore gommaient cette illégitimité tout en réservant les termes "enfant légitime" aux petits catholiques ; un petit nombre enfin ne faisaient pas de différence et ne mentionnaient de légitimité pour personne ! Dernier cas, plus rare, à Essômes les curés n'ont baptisé et enregistré aucun enfant protestant pendant les quarante années qui ont suivi la Révocation, laissant ce soin, semble-t-il, aux protestants eux-mêmes, lesquels n'avaient plus de registre ! Les parents, conscients du manque d'existence officielle de leurs enfants, ont fait des déclarations de reconnaissance devant notaire !

À travers ces quelques exemples il est aisé de comprendre que la mentalité des responsables religieux n'a pas été uniforme et que la vie des communautés rurales protestantes, conditionnée en partie par le comportement des curés du lieu, a été assez diverse. Il paraît important de citer encore les prieurs de l'abbaye royale d'Essômes, de surcroît seigneurs du lieu, qui se sont montrés pendant toute cette période d'une grande tolérance, ce qui a valu à leur successeur en 1793, à l'heure des persécutions antireligieuses, de trouver refuge dans une maison protestante !

 

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L'égalité des droits et la liberté de conscience proclamées par la Révolution ont redynamisé les communautés rurales protestantes. Une multitude de petits temples a fleuri dans les villages picards au XIXe siècle. Malheureusement la première guerre mondiale a, particulièrement en Picardie, achevé ce que l'industrialisation et l'exode rural avaient amorcé, c'est-à-dire bouleversé le paysage hérité du siècle précédent. Finalement il ne reste pas grand chose de cette présence protestante importante et mal connue. Aujourd'hui le protestantisme picard est très différent de ce qu'il a été, il ne reste enraciné que dans l'histoire locale de quelques villages et les protestants sont plus que jadis "disséminés".

L'histoire est passionnante. Sa connaissance devrait nous rappeler en permanence que la liberté de penser, de croire et de vivre sa foi a été le fruit d'un long processus douloureux. Elle devrait aussi nous ouvrir les yeux et nous aider à mieux combattre l'intolérance sous toutes ses formes, comme à mieux accueillir les immigrés d'aujourd'hui.

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